Le Centre africain pour le développement durable et l’environnement (CADDE) a organisé du 14 au 16 mai 2024 une formation à l’initiation à l’aviculture des membres de la communauté de Mebosso dans l’arrondissement de Mvangan, département de la Mvila (région du Sud). L’initiative s’inscrit dans le cadre du projet « Lutte contre l’exploitation forestière et faunique non durable autour du Sanctuaire à gorilles de Mengame », encore appelé Lexforest. Le projet Lexforest a été soutenu et financé par la subvention de Global Greengrants Fund (GGF), fondation américaine, pour une durée de trois mois.
L’objectif principal de cette première session de formation est d’impliquer activement la communauté locale de Mebosso à la protection de leur environnement par l’acquisition ou le renforcement des connaissances et des pratiques respectueuses de la nature en matière d’élevage avicole. De façon concrète, l’enjeu est de sensibiliser la communauté locale de Mebosso sur les enjeux de la conservation de la biodiversité et le changement climatique, d’initier la communauté locale à l’élevage avicole respectueux de la nature et de créer une petite ferme école avicole de 100 sujets au sein de cette communauté.
Selon le directeur exécutif du Centre africain pour le développement durable et l’environnement (CADDE), Elie Blaise Pamboundem, le projet vient d’un constat. En tant que membre du comité de surveillance du sanctuaire à gorilles de Mengame, le CADDE a tenu des sessions sous l’impulsion d’Action for Sustainable Development (ASD) à la suite desquelles il a été observé l’action anthropique dans la zone de conservation. « Nous nous sommes rendus compte que le sanctuaire était le théâtre de l’exploitation faunique illégale ou non durable », a-t-il indiqué.
L’objectif visé est l’autonomisation des communautés, des femmes et des jeunes en particulier. Tout en les détournant de la zone de conservation pour poursuivre leurs objectifs de développement. Elles doivent apprendre un métier, le mettre en œuvre pour leur subsistance. Avant, toute la ressource venait de la zone de conservation, nous apprend-t-on au CADDE. Or, l’action anthropique fait en sorte que les habitats des primates soient déplacés et que les animaux qui y vivent prennent d’autres directions, sans oublier les possibilités de conflit homme-faune.
La voix des communautés prise en compte dans la sélection des projets
La mise en œuvre du projet Lexforest s’inscrit dans un processus participatif. Le 2 mai 2024, une réunion organisée à Mebesso par le CADDE a permis d’identifier les activités susceptibles de promouvoir le développement des communautés locales à la base. « Il n’était plus intéressant qu’on conçoive des projets à distance pour les implémenter auprès des communautés. Nous avons voulu que l’approche soit participative, inclusive et parte même de la communauté », motive M. Pamboundem. Il est ressorti que la communauté a un souci de formation dans les activités qu’elle a préalablement identifié à savoir l’aviculture, la pisciculture et la formation à la fabrication du savon de manage et des vêtements.
Plus d’une douzaine de personnes constituées des membres de la communauté (dont six femmes) ont pris part aux échanges. « Il est question de passer par des personnes pour atteindre la communauté. On veut qu’à terme, on arrive à mettre en place une ferme avicole soutenue par l’action des communautés. Nous voulons que ces activités durables génératrices de revenus se répandent dans d’autres villages riverains. Et ceci appelle à lancer un cri d’alerte aux autres partenaires techniques et financiers et bailleurs qui peuvent mettre à disposition des financements additionnels pour qu’on structure mieux le projet pour l’étendre à d’autres communautés. Le financement qui nous est alloué ne peut pas adresser toutes les activités en vue », soutient le directeur exécutif du CADDE.
L’adhésion des populations, facteur de succès du projet Lexforest
La session de formation animée par Mowam Ousmanou a porté sur plusieurs modules : les paramètres environnementaux qui intègrent le choix d’un site adapté (disponibilité d’eau, accès au poulailler, terrain), les bâtiments construits suivant les normes de l’art (ventilation, rigole, sol…), l’alimentation (besoins alimentaires des poulets de chair, systèmes de distribution de l’aliment), la santé (respect des mesures de biosécurité et des programmes de prophylaxie). « A travers cet élevage, les activités de chasse et de pêche non durables vont diminuer dans la zone. Pendant qu’ils acquièrent de nouveaux revenus, ils vont abandonner de plus en plus le braconnage ou la surpêche », précise le formateur, Mowam Ousmanou. « La plus-value d’une telle formation est que les personnes formées soient portées en capacités. Des revenus seront générés dans le village. Il y aura un effet de masse, car les participants à cette formation vont aller dans leurs familles en former d’autres pour diffuser les modules appris au sein de la communauté, pour que les gens puissent s’intéresser à l’élevage des poulets de chair. Il y a des opportunités autour de ces poulets », poursuit notre interlocuteur.
Les participants ont trouvé de l’intérêt autour de la formation. « Pendant les fêtes de fin d’année, les gens quittent du village pour aller acheter les poulets en ville. En cours de route, certains poulets meurent. S’il y a un tel projet dans le village qui aboutit à la mise en place d’une ferme, les produits seront disponibles le moment venu et à moindre coût », confie Chimène France Angue. Même son de cloche pour Emile Eba’a, notable à la chefferie de troisième degré de Mebesso. « Le projet est le bienvenu dans notre localité car nos sources de revenus seront diversifiées pour faire vivre nos familles. La pratique de l’élevage va permettre de réduire le braconnage et décourager les jeunes qui partent en brousse. Nous sommes très contents de ce qu’on a appris », manifeste notre source.
Ismaël Sinclair Ondo va plus loin. En tant qu’un facilitateur de l’activité, il a relevé que, jusqu’à présent, les membres de la communauté dépendaient du cacao sur une période de quatre mois au cours de l’année. Durant les huit autres mois, ils tiraient le diable par la queue. « Si nos parents, frères et sœurs parviennent déjà à économiser quelque chose en apprenant, il y aura un impact sur le niveau socio-économique des populations. Avec une activité parallèle, ça permet d’être toujours en mouvement durant les huit autres mois et de ne pas dépendre uniquement du cacao ou de la chasse », ajoute-t-il.
A l’issue de la formation, les intrants seront mis à la disposition de cette communauté pour que l’activité démarre et que les poulets de chair soient présents sur les tables de la communauté et environs. Les intrants remis seront constitués de 200 poussins pour la phase pilote, de la provende, des vaccins, des antibiotiques et des vitamines pour les poulets de chair. Pour la pisciculture, ils recevront l’appui en construction d’étangs, des alevins et de la provende.
Le sanctuaire à gorilles de Mengame : une zone de clé de biodiversité à protéger
Le choix porté sur le sanctuaire à gorilles de Mengame n’est pas anodin. La biodiversité du sanctuaire est unique en son genre, avec la présence des grands primates de l’Afrique centrale et de l’Ouest : singes, gorilles, éléphants. « Le projet qui est en cours d’exécution est une aubaine pour la zone et pour la zone de Mebosso qui en est bénéficiaire. Si rien n’est fait, on va détruire cette zone de conservation et perdre ces espèces rares en Afrique », explique Elie Blaise Pamboundem, celui-là qui est à la tête d’une organisation de la société civile qui travaille sur les questions de gestion durable des ressources naturelles, avec pour zones d’intervention les départements de la Mvila et de la Vallée du Ntem.
Le projet Lexforest est aussi une manière de préserver la biodiversité du sanctuaire à gorilles de Mengame, de garder les espèces clés pour que les enfants et petits-enfants des membres de la communauté puissent aussi les voir et que l’activité puisse procurer de l’argent à travers l’écotourisme. A l’issue d’une activité tenue à Sangmelima en septembre 2023, un comité de surveillance du sanctuaire situé entre les départements de la Mvila (80%) et du Dja-et-Lobo (20%) a été mis sur pied. Selon les indications de Global Forest Watch, l’aire protégée a fait l’objet de plus de 1200 alertes consécutives à des actes d’irrégularité observés à l’intérieur du sanctuaire, entre 2021 et 2022. De sources concordantes, le sanctuaire à gorilles de Mengame couvre une superficie de 130 000 hectares de part et d’autre de la frontière entre le Cameroun et le Gabon. La zone abrite quelques 16 espèces de primates, dont le gorille des plaines occidentales.